Écritures et psychanalyse

Responsables :

Rédouane Abouddahab (Le Mans)

Pascal Bataillard (Lyon 2)

Eléonore Lainé Forrest (Nouvelle-Calédonie)

 

Atelier II

Vendredi 8, 9h-10h30

Salle Séminaire 1, bâtiment W

 

9h

Pierre Met

Université Paris-Sud 11

Animal Farm de George Orwell ou l’avenir d’une illusion

En 1945, George Orwell publie un roman décrivant une ferme dans laquelle les animaux se révoltent et prennent le pouvoir. Nombreux sont les penseurs qui y voient une critique acerbe de l’Union Soviétique doublée de celle de la politique totalitaire conduite par Staline. Utopiste qui rêve d’une société sans caste, Orwell affiche un règlement qui repose sur un principe unique : « tous les animaux sont égaux, mais il y en a qui le sont plus que d’autres ». A partir des écrits de Freud, mais aussi de ceux de Lacan, on s’interrogera sur les conditions de production psychologique de cette fiction que l’on peut interpréter comme une métaphore de la fin du complexe d’œdipe et de l’organisation phallique qui s’en suit.

 

9h30

Abdourahmane Diouf

Le Mans Université

La révolution comme forme de rêve et d’évolution dans la fiction de Steinbeck

Préoccupé par la pauvreté à laquelle est réduite une partie de sa nation, Steinbeck rêve la société américaine à travers son écriture. Pour cet auteur, le rêve constitue une « occasion de fiction » permettant de faire rupture avec le présent, de rendre accessible l’inaccessible. En d’autres termes, le rêve apparaît comme un moyen de transformer l’instant, une véritable révolution. Or, comme son écriture le suggère, le recours au rêve par le prolétariat ne peut se faire que si ce dernier devient autonome. Ce n’est qu’en s’affranchissant, qu’ouvriers et fermiers pourront devenir maîtres de leur destin. L’appel à l’émancipation des travailleurs itinérants apparaît ainsi comme la clé de voûte de l’écriture de Steinbeck. Ce rêve de révolution se poursuit aussi sur le mode d’une fiction fantasmagorique à travers laquelle les représentations refoulées tendent à remonter à la conscience pour se réaliser de manière substitutive, indirecte et symbolique.

 

10h

Frédéric Lefrançois

Université des Antilles

Rehearsing the postcolonial Oedipus: Revolutionary Ghosts in Contemporary Drama

Shakespeare’s plays gave Freud and Lacan the material from which they could appraise the resurgence of repressed desires in psychic life. They have also extended their influence over the authorial unconscious of Caribbean dramatists. Walcott’s Bolom in Ti-Jean and his brothers, or the white female apparition in Dream on Monkey Mountain bear many functional similarities with Prospero’s enslaved spirit. And when it comes to Phillips’s Strange Fruit, one cannot but liken the telling absence of Wallace Marshall’s ghost to that of Hamlet’s father. If the function of these enigmatic figures is to exacerbate repressed desires, their revolutionary potential could be subsumed as follows: “To beat, or not to beat the phallus: that is the question”. This paper will endeavor to show that the solution to this riddle may be attained by rehearsing postcolonial Oedipus with a particular focus on the Caribbean nexus.

 

Atelier III

Samedi 9, 9h-10h30

Salle V411

 

9h

Salma Layouni

Le Mans Université

Richard Matheson’s Hell House: the Revolutionized Gothic Novel

Richard Matheson’s Hell House (1971) can be seen as a 20th century gothic novel that was built using the basic and omnipresent elements of American Gothic fiction. But although this novel revives the classic Gothic genre, it nevertheless succeeds in revolutionizing some of its aspects by addressing the themes of sexuality and perversion in a most original way. The intermingling of the classical gothic style with an unorthodox idea of sexual obsession bears Matheson’s mark. This paper aims to study the way Matheson presents the theme of sexual perversion not only as a reflection of the United States’ 20th century sexual revolution but also as a prediction of how this revolution may connote a hidden obsessive sexual mania. Hell House revolutionizes the content by signifying sexual terror through scenes of sexual perversions and violence and gives a vivid record of the American sexual liberation that started in the1960s.

 

9h30

Anne-Victoire Esnault

Université Sorbonne-Nouvelle — Paris 3

La chasse au Thylacine, signifiant du trauma de l’histoire coloniale tasmanienne dans The Hunter de Julia Leigh

A travers l’étude de The Hunter, roman de Julia Leigh publié en 1999, nous étudierons la façon dont l’intrigue, la chasse et la mise à mort du dernier tigre de Tasmanie, évoque en filigrane le génocide de la population Aborigène. Si celui-ci n’est pas explicitement mentionné dans le roman, l’extinction du tigre de Tasmanie et de ses trappeurs peut être analysée comme le symbole de l’événement refoulé. En se fondant sur les théories freudiennes, mais aussi sur les réflexions de Marcelle Marini à propos du « deuil irréparable, » nous observerons alors la manière dont les spécificités du gothique tasmanien permettent de mettre en scène le trauma et de nommer le Refoulé de la Black War.

 

10h

Eléonore Lainé Forrest

Université de la Nouvelle-Calédonie

Silent Revolutions in Richard Flanagan’s Death of a River Guide

In the most dazzling way, Richard Flanagan’s writing reminds the readers that they have been granted visions. But like the central character of Death of a River Guide, Aljaz Cosini, they spend their lives trying to escape the truth behind them: “what ‘they’ were and what ‘they’ will return to being”. Aljaz, and the many generations of Australians that came before him, chose to forget the “truth they all encompass” until the latter changed itself into a nameless fear, a gaping mouth waiting to devour their sick, rotten selves. Following this train of thought, I will concentrate on the way Death of a River Guide signifies the Repressed Aljaz carries within him, a past that “isn’t ever over”, and then analyse how this novel sheds light on the many silent revolutions generations of Australians have undergone, but have yet to acknowledge.

 

Appel à contributions

Dans le cadre du prochain congrès de la SAES qui se tiendra à l’Université Paris Nanterre du 7 au 9 juin 2018, l’atelier « Ecritures et psychanalyse » accueillera vos communications portant sur le thème: « REVOLUTION(S) ». Vous trouverez l’appel à communications ci-dessous.

Merci d’envoyer vos propositions, ainsi qu’une courte notice biographique pour le 15 janvier 2018 conjointement à Pascal Bataillard (Université Lyon 2),  Rédouane Abouddahab (Université du Maine), et Eléonore Lainé Forrest (Université de la Nouvelle-Calédonie).

 

« Révolution » vient du latin, revolutionem, de revolutus, (Littré) part. de revolvo.  Formé du préfixe « re » et du noyau « volvo » :

révolution s’entend comme ‘retour sur soi’, comme réitération de ce qui a été et comme prévision de ce qui sera ; on peut prendre cela de façon positive, dans la mesure où ce qui est, même dans ce qu’il a de désagréable, est la reprise d’un jadis qui aura, tout autant, son avenir » (Encyclopædia Universalis).

Intégré à la langue française, « révolution » perd cependant la signification de son préfixe pour devenir, dès le XVe siècle, synonyme de « changement brusque », puis, au fil des siècles, de « phénomènes naturels qui ont bouleversé la surface terrestre » ; « d’évolutions des opinions, des courants de pensée » ; de « renversement soudain du régime politique d’une nation » ; de « passage de l’économie du stade artisanal et manuel au stade industriel » (CNRTL), entre autres.

On aura noté la dichotomie entre l’étymologie de « révolution » et son usage ordinaire. Loin d’être le fait du hasard, l’oubli du sens de son préfixe, manquant ici à sa place, jette un éclairage froid sur le monde et les hommes. Il révèle ces derniers alors qu’ils préfèrent parfois la mémorisation à la re-mémorisation, refoulant le mouvement à rebours de ce qui fait qu’ils sont. Autrement dit, ils ignorent ce qu’ils ont été pour se laisser bercer par l’illusion d’un présent invariable, un jour sans fin dont la prévisibilité, pensent-ils, les soulagerait de leur angoisse.

La psychanalyse lacanienne martèle l’importance de ces retours en arrière, révolutions, ou encore restructurations dont le sujet fait l’expérience à tous les âges de la vie. Elle met en lumière la chaîne des signifiants, moteur de ces restructurations qui permettent la conservation du sujet. Inscrites à la fois dans le temps et l’espace (les deux contions a priori de la sensibilité sans lesquelles l’homme ne pourrait donner sens à ce qu’il est), ces restructurations sont synonymes de bouleversements et révèlent, en filigrane, le bras armé du destin. Parce qu’elles sont souvent accompagnées de souffrances et de pertes, le sujet les craint donc. Prisonnier de son angoisse, il marche à reculons pour ne pas avoir à résoudre l’énigme qui le constitue et reconnaître le signe de sa destinée mortelle.

Reflet de la condition humaine, la fiction fait le portrait de ces femmes et ces hommes, paralysés par l’angoisse, refusant de revenir sur ce qu’ils ont été pour ex-ister (la séparation du noyau de son préfixe figure le va-et-vient de l’esprit humain pendant lequel la pensée se construit). Sans relâche, elle évoque les dangers qu’ils courent, d’une part, qu’ils font courir à leur société, d’autre part, en tentant de figer l’instant, préférant un monde au jour sans fin, aux mêmes visages. Comble de l’ironie, pour arriver à cette hégémonie parfaite, visée des régimes totalitaires, il faut en passer par des révolutions. Et, comme Hannah Arendt le déclare à propos de ces régimes :

Les hommes, dans la mesure où ils sont plus que la réaction animale et que l’accomplissement de fonctions, sont entièrement superflus pour les régimes totalitaires. Le totalitarisme ne tend pas vers un règne despotique sur les hommes, mais vers un système dans lequel les hommes sont de trop. Le pouvoir total ne peut être achevé et préservé que dans un monde de réflexes conditionnés, de marionnettes ne présentant pas le moindre soupçon de spontanéité. Justement parce qu’il possède en lui tant de ressources, l’homme ne peut être pleinement dominé qu’à condition de devenir un spécimen de l’espèce animale homme. (Arendt, Le système totalitaire, 197).

A travers le morcellement qui leur est propre, les œuvres de fiction anglophones contemporaines et ultra-contemporaines qui ont suivi Ulysses signifient plus précisément la nécessité d’ex-ister, soit encore des restructurations par lesquelles le sujet doit passer pour ne pas sombrer dans le Réel tel qu’il est défini par Jacques Lacan. Elles mettent en lumière la loi de la chaîne signifiante « qui régit les effets psychanalytiques déterminants pour le sujet » (Lacan, Ecrits I, 11).

« Le séminaire sur ‘La Lettre volée’ », ainsi que « Du sujet enfin en question » de Jacques Lacan pourront servir de point de départ aux analyses de textes, visuels ou écrits, proposées. C’est bien la lettre « détournée », « dont le trajet a été prolongée », la lettre « en souffrance » (Ecrits I, 29) qu’il faudra observer dans les œuvres à l’étude. Comment le signifiant se déplace et détermine les restructurations du sujet ; pourquoi le sujet refuse ces restructurations, préférant ignorer qu’une « lettre arrive toujours à destination » (Ecrits I, 41), sont autant de questions qui permettront de nous intéresser au mouvement même des révolutions que vit, à chaque instant de son existence, le sujet ; à ce mouvement, à rebours et répétitif, qui le ramène « au morcellement de [son] enfance déchirée » (Ecrits I, 40).